Note d’information à l’intention des fiduciaires: Uber (NYSE:UBER)
Votre fonds envisage peut-être d’investir dans Uber Technologies Inc. (ci-après « Uber »), qui a déposé son Prospectus d’introduction en bourse (Initial Public Offering, IPO) et a émis ses actions à la Bourse de New York le 10 mai 2019. Dans le cadre du battage médiatique autour de son introduction en bourse, Uber a livré une campagne pour attirer des investisseurs institutionnels parmi lesquels auraient pu figurer votre caisse de retraite et/ou ses gestionnaires. En tant que fiduciaire, vous vous demandez peut-être si investir dans Uber est dans le meilleur intérêt des membres de votre fonds.
9 mai 2019
Un PDF de la note d’information suivante est disponible ici.
Le modèle d’entreprise d’Uber a de profondes implications pour les travailleurs – tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des secteurs qu’il touche directement. L’introduction en bourse ou IPO d’Uber sera en toute probabilité la deuxième plus importante de l’histoire des IPO technologiques américaines après Facebook. Son introduction en bourse et sa performance boursière ultérieure détermineront si le modus operandi d’Uber, qui consiste à s’appuyer sur une vaste réserve d’entrepreneurs indépendants à l’égard desquels elle ne s’acquitte d’aucune responsabilité en matière de lois sur les salaires et la durée de travail, de prestations et de cotisations sociales, constitue réellement un modèle d’entreprise viable.
Cette note d’information récapitule quelques-uns des principaux facteurs et risques associés à un investissement potentiel dans Uber. En fin de note sont reprises les mesures que vous pouvez prendre et les questions que vous pouvez poser à vos conseils, consultants, gestionnaires et membres de personnel. Cette note est fournie à titre d’information uniquement, elle n’est pas destinée à des fins de conseils d’investissement, juridiques, fiscaux ou comptables et ne peut être invoquée en ce sens. Les fiduciaires devraient consulter leurs propres conseillers et professionnels en placements pour soupeser les mérites et les risques de tout investissement.
Uber peut-elle être rentable tout en respectant les principes et les droits fondamentaux des travailleurs ?
Les dépôts officiels permettent de voir qu’Uber a cherché et continue de chercher par tous les moyens à devenir une entreprise rentable. La société a enregistré un gain de 997 millions USD en 2018, le premier gain net depuis qu’elle a commencé à publier des chiffres en 2014. Ce gain net est attribuable, en grande partie, à la vente des activités d’Uber en Russie et en Asie du Sud-Est, ainsi qu’à un gain sur la valeur de son investissement en 2018 dans son ancien concurrent chinois DiDi, auquel Uber a vendu son activité en échange d’une participation minoritaire. Il s’agit de gains non récurrents.
Uber emploie le « EBITDA ajusté » (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) en tant que mesure clé pour évaluer son rendement d’exploitation. Selon cette mesure, la société n’a pas réalisé de gain trimestriel depuis que ce chiffre a été publié pour la première fois au premier trimestre de 2015. Son EBITDA ajusté s’est traduit par une perte de 1,85 milliard USD en 2018, une perte de 2,64 milliards USD en 2017 et une perte de 2,51 milliards USD en 2016. Il n’est pas certain qu’Uber puisse réaliser des bénéfices avec son activité principale de covoiturage, qui représente 81 % de ses rentrées. La redevance qu’elle génère sur les tarifs passagers constitue de fait le principal moteur de revenus d’Uber. Ce modèle tarifaire signifie qu’Uber nécessite une échelle croissante pour générer une croissance des revenus, ce qu’elle peut accomplir en attirant davantage de chauffeurs. Les chauffeurs, considérés comme des entrepreneurs par l’entreprise, peuvent passer d’une plateforme de covoiturage à une autre. Les procédures judiciaires et les pressions réglementaires accrues auxquelles Uber se voit confrontée de par le monde présentent des défis pour ce modèle d’entreprise.
Ces vents contraires continueront de remettre fondamentalement en question la capacité d’Uber à générer suffisamment de revenus par les services de covoiturage pour a) offrir une rémunération adéquate aux chauffeurs, b) maintenir les clients satisfaits avec des tarifs bas et c) offrir de la valeur aux actionnaires.
Quels risques les investisseurs doivent-ils prendre en considération ?
1. Risques juridiques
Uber a fait l’objet d’un nombre important de poursuites judiciaires liées à divers aspects de ses activités. Le lancement de nouvelles poursuites judiciaires pourrait avoir pour conséquence à moyen terme qu’Uber se voie contrainte de constituer des réserves considérables et variables année après année. La société a augmenté ses provisions et règlements légaux, fiscaux et réglementaires de 598 millions de dollars en 2017 avant de les diminuer de 325 millions de dollars en 2018.
Dans son Prospectus, l’entreprise cite comme un risque les coûts associés aux poursuites judiciaires. Les exemples récents incluent :
- déformation d’informations : en 2017, Uber a versé un règlement de 20 millions USD à la Commission fédérale du commerce (Federal Trade Commission) en guise de réparation aux chauffeurs, pour résoudre une enquête qui tentait d’établir si l’entreprise avait exagéré les revenus admissibles et présenté de façon inexacte les modalités de ses options de financement automobile.
- classification faussée : au moins 12 procès ont été intentés de par le monde où Uber se trouvait accusée de faussement classer ses chauffeurs en tant qu’entrepreneurs indépendants. Dans un certain nombre de cas, Uber l’a emporté en faisant rejeter les actions en justice.
2. Risques réglementaires
Classification faussée et statut des chauffeurs
Des poursuites pour erreur de classification et d’autres contestations juridiques liées au recours par Uber à des entrepreneurs indépendants comme chauffeurs ont abouti à des décisions jurisprudentielles et des arrêts qui ont eu des répercussions plus larges sur les normes de l’emploi. Au nombre des risques réglementaires actuels et futurs qui représentent des défis fondamentaux pour le modèle d’affaires de l’entreprise figurent notamment :
- Californie : un projet de loi est actuellement débattu à l’assemblée législative de la Californie, visant à codifier et à étendre une Décision de la Cour suprême de l’État qui établit des critères plus stricts relatifs à la classification d’employés, avec des implications potentielles importantes pour les conducteurs Uber en Californie.
- Royaume-Uni : un tribunal du travail en Grande-Bretagne, le plus important marché d’Uber en Europe, a jugé que les conducteurs d’Uber doivent être considérés en tant que travailleurs à part entière et, partant, ont droit à des prestations telles que le pécule de vacances et le salaire minimum. Uber a fait appel de cette décision devant la Cour suprême du Royaume-Uni.
- UE : la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a classé le produit UberPOP d’Uber comme un service de transport plutôt que comme une plateforme numérique en 2017, supprimant les protections contre la réglementation nationale que sa classification aurait offertes en tant que service numérique.
Des règlements interdisant certains produits de covoiturage ou imposant d’importantes restrictions opérationnelles ont été adoptés dans des marchés clés, notamment en Argentine, en Allemagne, en Italie, au Japon, en Corée du Sud et en Espagne. La ville de New York a imposé une structure tarifaire pour les conducteurs pour compte d’autrui et limité l’expansion des nouveaux permis de conduire pour les services automobiles en 2018.
Évitement fiscal
Au-delà des erreurs de classification, Uber s’expose à des risques d’évitement fiscal. L’OCDE est en train de mettre au point un cadre pour s’attaquer aux problèmes fiscaux soulevés par l’économie numérique et cherche à parvenir à un consensus, d’ici la fin de 2020, sur des nouvelles règles fiscales internationales pour les multinationales du numérique. Par ailleurs, Uber s’expose à des enquêtes sur le respect des réglementations fiscales et pourrait se voir assujettie aux taux de taxe de ventes dans certaines juridictions.
3. Risques de réputation
Uber s’expose en outre à des risques liés à son image de marque découlant de la couverture médiatique donnée aux enjeux suivants :
- Insatisfaction des conducteurs : des manifestations des chauffeurs Uber ont eu lieu en Australie, en Inde, au Kenya, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Dans son Prospectus, Uber anticipe que l’insatisfaction des conducteurs ira croissant à mesure que la firme table sur la rentabilité au détriment des incitations financières aux conducteurs. Sa capacité à augmenter les tarifs tout en conservant ses clients et en progressant vers la rentabilité dans un marché hautement concurrentiel est discutable.
- Impacts au sein de la communauté : dans diverses juridictions, les chauffeurs de taxi se sont organisés contre Uber, engendrant des risques de réputation qui ont, dans certains cas, déclenché des restrictions réglementaires. L’Argentine, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, la Corée du Sud et l’Espagne sont parmi les juridictions où des lois et règlements sur le covoiturage ont été adoptés. Une série de suicides de conducteurs ont été attribués à la propagation d’Uber à New York, ce qui a contribué à faire pression sur la ville pour limiter l’expansion du covoiturage.
- Allégations de harcèlement sexuel : une ex-employée d’Uber a écrit un blog détaillant des allégations de harcèlement sexuel et de discrimination sexuelle en 2017. Ce scandale et d’autres cas de publicité négative ont conduit des utilisateurs de la plateforme à supprimer l’application Uber. Son prospectus reconnaît que cela avait contribué à l’embauche d’un nouveau directeur général, Dara Khosrowshahi, qui a remplacé Travis Kalanick en 2017.
Conseils aux fiduciaires : que peuvent faire les fiduciaires au sujet d’Uber ?
Les fiduciaires devraient demander au personnel de leur fonds dans quelle mesure un investissement dans Uber est dans l’intérêt des membres du régime de retraite – à court comme à long terme. Si Uber vous préoccupe, vous pourriez envisager de prendre les mesures suivantes :
- Exiger une garantie de diligence raisonnable avant d’investir dans Uber : invitez vos consultants, vos gestionnaires et/ou le personnel de votre fonds à faire preuve d’une certaine diligence raisonnable sur les enjeux dont il est question dans cette note et rendez compte au conseil si un investissement dans Uber est envisagé.
- Amorcer une discussion du conseil sur les entreprises numériques et les modèles d’entreprise : invitez vos consultants, vos collègues siégeant au conseil et/ou les membres du personnel à collaborer avec vous à l’établissement d’un point de l’ordre du jour lors d’une future réunion du conseil où les implications des modèles émergents d’entreprises numériques sur les droits des travailleurs et les membres des caisses de retraite seraient discutés, suivant le principe d’un partage d’informations entre un éventail varié d’intervenants. Si votre fonds est doté d’une déclaration de confiance en matière d’investissement ou d’une politique relative aux questions environnementales, sociales ou de gouvernance (ESG), vous pourriez proposer une discussion sur les investissements dans les entreprises numériques dans ce contexte.
- Solliciter une concertation avec Uber : si votre fonds a investi dans Uber, demandez à votre gestionnaire ou votre personnel d’engager un dialogue d’actionnaire avec Uber sur les questions abordées dans cette note et de présenter un rapport.
Cette note est fournie à titre d’information uniquement, elle n’est pas destinée à des fins de conseils d’investissement, juridiques, fiscaux ou comptables et ne peut être invoquée en ce sens. Les fiduciaires devraient consulter leurs propres conseillers et professionnels en investissements pour soupeser les mérites et les risques de tout investissement.
Pour tous renseignements complémentaires, prière de contacter le Secrétariat du CWC.